LA FAMILLE RAMIREZ GIRON

Majin Ramirez, 45 ans 
Emilia Giron, 24 ans (2)
Juan Gilberto Giron, 10 ans 
José Santos, 8 ans (4)
Pablo, 6 ans (5)
Martha Esperanza, 4 ans (6)
José Wilfredo Ramfrez Giron (Willy), 8 mois
1 chienne et ses 5 chiots
1 chat

10 poules
3 canards

 

 

Grupo Pajonal,
Comayagua
Le 4 novembre, 1984

Les matins viennent rapidement

5 heures. Emilia se lève. Allez savoir pourquoi. Il fait toujours nuit et le coq n’a pas encore chanté. Elle verse l’eau dans la casserole, met du bois dans le feu et souffle pour ranimer la flamme. Le sommeil de sa famille, dans la petite maison d’une pièce, ne l’empêche pas de préparer bruyamment le café et d’entamer la conversation. Tout près, allongé sur une banquette de voiture aux ressorts cassés, Juan, son fils aîné, gémit et ne semble pas apprécier de . commencer aussi tôt la journée. Willy, lui, est prêt et se met à pleurer. Emilia prend son bébé, pousse un peu Juan pour prendre un bout de la banquette et donner le sein. Majin servira le café.

José doit user de toutes ses forces pour moudre les grains de maïs cuits. Ensuite, Emilia roulera la pâte sur la pierre plate et fera des tortillas.

L’annonce d’un complot contre le président

6 heures. Majin allume la radio. Les piles sont si usagées qu’on parvient à peine à entendre l’annonce d’un complot contre le président de la République. Et même là, personne ne réagit. La politique, c’est tellement loin. Ça se passe là-bas, dans cette capitale qu’on ne connaît pas et qu’on a peu de chance de connaître, faute de moyens. Majin éteint le poste quand le journaliste relate l’assassinat de Mme Gandhi. Une personne dont on ignorait l’existence. L’Inde, c’est encore plus loin que la capitale. A chacun ses soucis.

« L’application de la loi est longue », lui a-ton dit à la ville

Avant qu’il ne fasse trop chaud, Juan et José partent pour le premier voyage à la rivière, traînant une douzaine de jerricans en plastique empilés sur une charrette qu’ils se sont bricolée. Il leur faudra une demi-heure pour y parvenir … et deux autres voyages pour assurer le ravitaillement de la journée. Majin va dans son champ récolter des épis de maïs que les enfants égrèneront et qu’il vendra dimanche au marché de Comayagua.

Quatre ans plus tôt, Majin a quitté la terre aride du département de Tibuca pour Comayagua. Il a pu ainsi profiter d’une réforme agraire dans la région et, comme quarante autres familles, on lui a octroyé 4 manzanas (200m2 ) de terre tout juste cultivable. Aujourd’hui, il attend toujours, sans trop d’impatience, les papiers confirmant son titre de propriété. « L’application de la loi est longue », lui a-ton dit à la ville.

8 heures. Les hommes partis au travail, Emilia est plus à l’aise dans sa cuisine exiguë. Elle prépare les tortillas et les haricots du petit déjeuner, sous le regard avide de la chienne affamée, qui nourrit sans joie ses petits.

Les garçons posent les filets remplis d’épis sur des bâches de plastique pour battre et égrener le maïs. Majin se demande s’ils pourront en remplir six grands sacs, ce qui lui permettrait de vendre le surplus au marché.

Immédiatement, il lui a demandé de venir vivre avec elle….

Le premier compagnon d’Emilia a été tué dans un règlement de comptes. Restée seule avec ses quatre enfants, elle a quitté la campagne pour travailler en ville comme femme de ménage. Juan avait dans les sept ans, et a dû s’occuper de ses frères et de sa soeur en l’absence de sa mère. Un jour, Emilia est venue dans la région de Comayagua pour la cueillette des tomates. C’est là qu’elle a rencontré le veuf Majin. Immédiatement, il lui a demandé de venir vivre avec elle. Le petit Willy est né neuf mois plus tard et Juan a enfin pu, cette année, commencer l’école.

9 heures 30. Majin revient des champs et les garçons ont fait deux voyages à la rivière. Il fait déjà très chaud, tous se réfugient dans la fraîcheur de la maison. A l’arrivée d’Emilia, Majin vivait chez sa mère avec sa petite fille. Laissant cet enfant aux soins de sa grand-mère, il a d’abord installé sa nouvelle famille dans une cabane aux murs de carton, en attendant de trouver l’argent nécessaire à la construction d’une vraie maison, avec un toit de tuiles.

Aujourd’hui, le toit est fini mais la maison n’est encore qu’un squelette formé d’un entrelacs de branches solidement nouées. Il reste à combler les vides avec un mélange de terre et d’eau. Il serait pourtant urgent d’avoir un abri convenable : la nuit, le vent traverse les cloisons. Les enfants, transis, sont trop souvent grippés ou enrhumés.

 

Emilia pesters Majim to finish the house

 

9 heures 30. Majin revient des champs et les garçons ont fait deux voyages à la rivière. Il fait déjà très chaud, tous se réfugient dans la fraîcheur de la maison. A l’arrivée d’Emilia, Majin vivait chez sa mère avec sa petite fille. Laissant cet enfant aux soins de sa grand-mère, il a d’abord installé sa nouvelle famille dans une cabane aux murs de carton, en attendant de trouver l’argent nécessaire à la construction d’une vraie maison, avec un toit de tuiles.

Aujourd’hui, le toit est fini mais la maison n’est encore qu’un squelette formé d’un entrelacs de branches solidement nouées. Il reste à combler les vides avec un mélange de terre et d’eau. Il serait pourtant urgent d’avoir un abri convenable : la nuit, le vent traverse les cloisons. Les enfants, transis, sont trop souvent grippés ou enrhumés. Emilia demande régulièrement à Majin de terminer les travaux. Il promet de s’y mettre dès qu’il aura vendu le maïs, récolté les haricots et cueilli les melons d’eau. Mais le fera-t-il vraiment ? Des centaines d’aller et retour pour prendre l’eau à la rivière, c’est une vraie corvée … Emilia mange son petit déjeuner, Willy tétant son sein. Dans les mains expertes des enfants, les tortillas deviennent des cuillères et chacun les remplit de haricots. Cette année, la récolte de haricots a été abondante. Emilia ne risque pas, comme l’an dernier, d’en manquer.

Emilia ne repousse jamais ses enfants.

10 heures 30. Majin, le père, prend sa brouette et repart chercher des épis. Les garçons font leur dernier tour à la rivière. Dans une heure, il fera trop chaud pour faire quoi que ce soit. Willy, lui, ne veut pas quitter le sein de sa mère. Un vrai modèle de patience, cette Emilia : jamais elle ne repousse ses enfants. Pablo et Martha n’ont rien pour jouer. Ils traînaillent en surveillant les poules. Quand l’une d’elles tente de se nicher sur le lit pour pondre, ils s’en emparent et la fourrent dans une boîte en carton. Les poules et les canards sont bien maigres. Emilia les soupèse de temps à autre et renonce à les sacrifier pour le repas familial. On mangera à midi ce qu’on mange toute l’année : riz, haricots et tortillas.

14 heures 30. La sieste est terminée. Le soleil est enfin passé derrière la maison. La famille peut vaquer à ses occupations de l’après-midi. Emilia ramasse des branches séchées pour rajeunir son vieux balai et nettoyer la cour.

Il attendra donc que les garçons grandissent pour l’aider

Majin s’assoit tranquillement à l’ombre et regarde les garçons égrener le maïs. Ils commenceront par enfermer les épis dans les filets qu’ils posent sur de grandes bâches de plastique. Puis, à coups de bâton, ils battent le maïs pour en décrocher le grain. Majin se demande combien de sacs il va pouvoir remplir. Il en retirerait davantage s’il travaillait toute la surface de sa terre au lieu de la moitié. Mais Majin travaille lentement et, de plus, ne peut pas se permettre d’acheter des boeufs. Il attendra donc que les garçons grandissent pour l’aider. Le petit Pablo profite de l’inactivité de son beaupère pour chercher des poux dans ses cheveux.

Sous le pont

15 heures. La Fédération hondurienne des femmes paysannes (F AHMUC) a donné aux mères de famille de la communauté six cochons, à engraisser. En les vendant, elles pourront disposer d’un peu d’argent. Aujourd’hui, les femmes se réunissent chez la voisine d’Emilia pour discuter de leur élevage avec une représentante de la Fédération. Un des cochons est malade, les autres n’engraissent pas. La représentante conseille aux femmes d’utiliser les restes. « Quels restes ? demande Emilia. Nos cuisines sont vides ! »La représentante, d’origine paysanne elle aussi, semble plutôt démunie : « Il faudrait cultiver un bout de terre », suggèret- elle. « C’est une idée, répond une des femmes. Mais qui s’occupera des enfants ? Et qui nous donnera des outils pour travailler la terre et des graines pour planter? » « La FAHMUC peut-elle nous aider ? » demande Emilia. La représentante promet de discuter des problèmes avec les leaders de l’organisation. Jamais simple, l’aide au développement rural. On bute souvent sur des petits problèmes concrets comme celui-ci : la Fédération donne un cochon, mais n’a pas pensé aux moyens de l’engraisser ni aux frais de vétérinaire.

16 heures 30. En fin d’après-midi, la chaleur devient supportable. Emilia, avec Willy toujours accroché au sein, Pablo et Martha à ses jupes, se rend à la rivière pour laver quelques vêtements et se rafraîchir dans l’eau froide, sous le pont.

 

L pleine lune apparaît, les hommes vont jouer au foot

16 heures 30. En fin d’après-midi, la chaleur devient supportable. Emilia, avec Willy toujours accroché au sein, Pablo et Martha à ses jupes, se rend à la rivière pour laver quelques vêtements et se rafraîchir dans l’eau froide, sous le pont.

18 heures. Le soleil a disparu derrière les montagnes et la pleine lune apparaît. Les hommes vont jouer au foot dans un champ et les femmes se rendent visite et bavardent. Elles vont, de baraque en baraque, leurs bébés dans les bras. Partout dans le monde, quand il n’y a pas d’électricité, on profite de la lumière de la lune pour prolonger un peu la journée …

19 heures 30. Pleine lune ou pas, il est temps d’aller au lit pour les tout-petits. Emilia éclaire la chambre d’un bout de bois tiré du feu, qu’elle pose sur le sol de terre, au milieu de la maison. Elle hisse Pablo dans le hamac, couvre Martha qui rouspète toujours à cette heure. Quant à Willy, il dort déjà à poings fermés dans le lit de ses parents.

20 heures 30. Juan retrouve le siège de voiture inconfortable, mais s’endort rapidement, tandis qu’Emilia parle encore :elle raconte la réunion de l’après-midi à Majin. Plus tard, dans la nuit, Martha pleure. Ah ! Martha n’a pas la vie facile depuis la naissance de Willy. Elle a dû lui céder sa place dans le lit des parents, et aller dormir avec José. Mais on ne se blottit pas auprès d’un frère comme auprès d’une maman. Martha pleure, elle veut aller faire pipi. « Lève-toi, vas-y et recouchetoi », lui dit sa mère du lit d’à côté. En rechignant, Martha se lève, fait pipi sur la terre battue au pied de son lit et se recouche. Ses pleurs ont réveillé Willy, qui fait chorus. A nouveau, il s’accroche au sein de sa mère, mais le coq s’est réveillé à son tour, il réveille les chiots qui, aussitôt, aboient demandant à téter. « Silence et dormez ! » crie Emilia. Heureusement qu’Emilia est une femme qui sait se faire obéir.

Les histoires

C’est une aventure, c’est un éveil est c’est humain